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En son et en image

« Ceci n’est pas un parking »

6 août 2021
© Stéphane Aboudaram | We are content(s)

Dans la catégorie Espaces publics et paysagers, le jury 2021 de L’Équerre d’argent décernée par les revues AMC et Le Moniteur, présidé cette année par Christian de Porzamparc, a récompensé le 22 novembre 2021 pour la réalisation du Champ de Mai les lauréats : pour la maîtrise d’œuvre, l’architecte Kristell Filotico associée à l’Atelier Roberta et pour la maîtrise d’ouvrage, la SCIC Friche la Belle de Mai, Jérome Plaza et l’assistance à maîtrise d’ouvrage Carine Abou et Fabrice Merizzi, BK Club – Clotilde Berrou et Marc Kauffmann.

Vous l’aurez sans doute remarqué, il émerge petit à petit à la Friche depuis quelques temps, le Champ de Mai, nouveau lieu de vie appropriable par toutes et tous peut enfin accueillir celles et ceux d’entre vous qui souhaitent se la couler douce et flâner à l’ombre des pins maritimes…

Pour inaugurer ce nouvel espace des possibles, nous avons souhaité vous raconter le projet et son histoire, mais aussi vous parler de celle qui l’a imaginé. Nous sommes allées pour cela à la rencontre de Kristell Filotico, architecte voyageuse, déterminée à réaliser les utopies qui sommeillent en nous…

C’est dans son cabinet d’architecte, en plein cœur de Marseille, que Kristell nous reçoit, large sourire aux lèvres, pour nous parler de ses différents projets, mais surtout de la philosophie avec laquelle elle les conçoit.

« Humaniste et engagée » sont les mots par lesquels Kristell se définit d’emblée. Elle nous dit s’être construite ainsi, à travers les diverses expériences et rencontres qui ont jalonné sa vie et sa carrière.

Une architecte inspirée

Kristell Filotico est avant tout une passionnée. Fan de Street Art, elle souhaitait étudier l’histoire de l’art, mais ses parents l’ont dirigée vers des études plus scientifiques. ce sera donc d’abord à Milan, à l’école Polytechnique, puis les écoles nationales supérieures d’architecture de Saint-Étienne et de Lyon. Avant de monter sa propre agence, Kristell s’inspire, se nourrit des créations et idées d’autres architectes afin de pouvoir aller au bout de ses envies, et de croire en la faisabilité des projets les plus innovants et courageux. Kritstell ne veut s’inspirer que là où l’architecture est toujours au service de la vie, et cite l’architecte chilien Alejandro Aravena et son projet Quinta Monroy. Son principe ? Bâtir des demi-maisons que les habitants peuvent ensuite compléter au gré de leurs finances.

Lorsque Kristell évoque ses mentors, elle convoque, enthousiaste, Lina Bo Bardi, architecte brésilienne qui pensait son architecture comme un organisme adapté à la vie, associant l’usage quotidien et l’énergie de ses habitants. Tout le travail de Kristell Filotico en est empreint.

« Être architecte femme, cela permet beaucoup de choses. »

Inspirée, Kristell l’est aussi par Corinne Vezzoni, l’architecte avec qui elle travaillera à Marseille durant 5 ans. À l’époque, elle s’identifie à cette jeune femme et à son agence extravertie, elles vont ensemble enchainer les projets et Kristell, aussi galvanisée qu’elle soit par cette ébullition découvrira à cette époque un milieu très masculin où on lui fera remarquer sa posture de femme… qui l’avantagerait soi-disant. Elle ne flanchera pas et restera telle qu’elle est malgré les remarques, fidèle à elle-même, prouvant à ceux qui en douteraient que les projets qu’elle mène sont possibles grâce à une exigence sans faille et un travail sans concession.

Le Champ de Mai en travaux

Une architecte Humaniste

Depuis qu’elle s’intéresse à l’architecture, Kristell Filotico a toujours pensé ses projets en prenant en compte l’humain, avant toute chose : les habitant·e·s qui allaient vivre dans ses logements, les travailleur·euse·s qui allaient arpenter les couloirs de ses créations, les flaneur·euse·s qui profiteraient des espaces communs de détente au cœur de ses projets…

C’est le thème du logement et de l’immigration qu’elle décide de défendre pour son diplôme d’architecte. Elle choisira de présenter un projet de logement social dans le quartier du Panier à Marseille, à travers lequel elle réfléchira à fabriquer d’autres usages des habitats et des espaces, et à d’autres manières d’habiter.

Quelques années plus tard, elle travaillera avec l’architecte Marc Dauber sur un projet d’une centaine de logements sociaux dans la Drôme, avec un réel suivi des locataires en place. Elle poursuivra avec ce projet sa réflexion sur les différences, les diverses façons d’habiter en proposant des appartements sur-mesure répondant aux besoins et envies de chacun·e.

La rencontre entre Kristell Filotico et la Friche survient en 2016 avec le projet La Belle Ensemble. L’idée : construire à la Friche, entre la Villa des Auteurs et la crèche, 26 logements locatifs sociaux en habitat participatif.
Dès le projet validé, Kristell Filotico va d’abord aller à la rencontre des futur·e·s habitant·e·s, leur demander ce dont ils·elles ont besoin, envie, avant de faire croquis et plans. C’est une démarche nouvelle, du jamais vu en matière d’architecture.

Son désir d’investissement pour La Belle Ensemble ne s’arrête pas là. L’architecte dormira à cette époque plusieurs nuits dans la Villa des Auteurs à la Friche, afin de capter l’environnement à diverses heures et ainsi appréhender les bruits, la lumière, l’espace, pour élaborer un projet proche de ses habitant·e·s, réfléchi au-delà de son aspect purement fonctionnel. Kristell évoque l’importance qu’elle accorde à l’imprégnation des lieux sur lesquels elle travaille. Il y a longtemps, elle a séjourné 8 mois à Marrakech, au cœur de la Médina, s’ouvrant ainsi à d’autres manières de vivre.

Passionnée aussi par les questions sociologiques, Kristell Filotico proposera aux futur·e·s habitant·e·s de La Belle Ensemble de construire eux·elles-mêmes les maquettes de leurs futurs logements. Toutes et tous le feront avec énormément d’enthousiasme. Malheureusement, ce projet qu’Alain Arnaudet, directeur de la Friche à l’époque qualifiait d’ »amoncellement d’utopies » sera brutalement annulé.

Lorsque l’on demande à Kristell Filotico quelle a été sa réaction lorsqu’elle a compris que son projet ne verrait jamais le jour, elle nous répond :

« C’est terrible, mais pas terrible pour l’architecte, c’est terrible pour les gens ! Terrible pour des gens qui se sont investis dans ce projet et qui avaient espoir, qui ont passé deux ans et demi à rêver sur ce projet !« 

Quelques temps plus tard, la Friche lance un concours afin de végétaliser la place et d’offrir un parking aux usager·e·s de la Friche. Guère enthousiaste à l’idée de la réalisation d’un parking, elle ne répond pas à l’annonce. Mais après quelques discussions et réflexions, l’idée fait son chemin, et Kristell envisage de travailler à nouveau pour la Friche et pour les personnes qui la font vivre et l’habitent. Comme une revanche sur le destin du projet avorté de La Belle Ensemble, elle répond au concours et se reconnait dans la volonté exprimée par Alain Arnaudet d’ouvrir la Friche au quartier d’un point de vue social.

« Alain parle d’ouvrir la Friche, de faire des cadeaux à ses usager·e·s, je me reconnais tout à fait dans cette envie.« 

Le Champ de Mai, ou comment transcender l’idée du parking

Avec le Champ de Mai, Kristell Filotico a souhaité créer, plus qu’un parking, un véritable lieu des possibles et offrir un espace public appropriable par le plus grand nombre. Lorsqu’elle nous parle de ce projet, elle évoque d’emblée ses références, ses inspirations, toujours nourrie par ses voyages, par le travail des autres, toujours en recherche d’y apporter son audace et la petite différence qui en fera une création unique.

Pour le Champ de Mai, Kristell a voulu « chercher l’évidence et offrir plus ». Elle nous explique que l’idée a été de travailler au sol plutôt qu’à l’élévation d’un bâtiment. Ainsi, au-delà de la capacité purement fonctionnelle du parking en sous-sol permettant à chacun·e de se garer, Kristell a choisi de créer une esplanade à ciel ouvert, qui pourra servir à accueillir du public lors de soirées festives ou cinématographiques par exemple. Pour cela, elle a souhaité créer une inclinaison du sol qui permettra, lors de ses évènements à chacun·e de voir et d’entendre ce qu’il se passe au niveau de la « scène », une sorte d’amphithéâtre épuré.

Kristell fait référence à la Piazza del Campo à Sienne, mais aussi à l’esplanade Beaubourg à Paris, qui a exactement le même degré d’inclinaison !

Autour de cette esplanade, Kristell a choisi de créer un nouveau lieu de vie à la Friche. Un endroit ombragé dans cet univers très minéral, où l’on pourra venir rêvasser, jouer… Elle a donc choisi de l’entourer de 300 mètres linéaires de bancs, pour que tout le monde puisse y trouver son espace.

Pour arborer la place, elle a souhaité travailler avec les paysagistes de l’Atelier Roberta, trois jeunes femmes issues de l’école nationale du paysage de Marseille. Elles ont imaginé ensemble comment la végétation locale des calanques pourrait se glisser dans la roche déjà présente à la Friche. La mémoire du lieu est ainsi conservée, tout en étant désormais plus végétale, en gardant toujours à l’esprit l’environnement dans lequel nous nous trouvons et les espèces qui seront les plus à même d’y évoluer. Chaque arbre du Champ de Mai a ainsi été sélectionné en Toscane, et toujours avec l’envie de faire participer les usager·e·s des espaces qu’elles crée, Kristell a imaginé que les enfants de la crèche se situant juste à côté puissent venir, accompagnés de leurs parents, pour aider à la plantation de ces nouveaux arbres qui feront partie de leur quotidien.

Fin avril, après de longues journées de travail sur ce chantier qui a nécessité une réelle complémentarité entre ingénierie et architecture de par sa complexité, Kristell Filotico a pu apporter de ses propres mains la touche finale de son projet : une signalétique originale pour le parking, peinte à partir de pochoirs qu’elle a elle-même pensés et réalisés.

Vous êtes curieux·se·s de découvrir ce nouveau lieu de vie à la Friche ? Ça tombe bien, le Champ de Mai est désormais un espace qui se vit !

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