Bienvenue à la Friche
Aujourd'hui jeudi 21 nov.
Après avoir étudié le design textile à la Martinière Diderot à Lyon, Thilda Craquelin poursuit ses études à l’INSEAMM (Marseille) dont elle est diplômée depuis juin 2022. Elle développe depuis un travail plastique qui questionne les matériaux standardisés employés dans l’industrie de la construction et du bâtiment, donnant parfois lieu à des logements dont la décoration sera constituée de motifs qui simulent une authenticité du passé faisant encore office de référence esthétique, tel un gage de bien-vivre.
Aujourd’hui considérés comme des consommables, les logements contemporains sont des biens impersonnels dans lesquels il faudra pourtant construire sa vie et ses souvenirs, dans une atmosphère désincarnée et une précarité temporelle. Par son travail, Thilda Craquelin présente l’espace domestique comme un décor et tente de se réapproprier ces matériaux et motifs utilisés en masse dans l’industrie de la construction.
« La pratique picturale de Thilda Craquelin procède de ce geste inattendu qui consiste à prendre le décor pour sujet. Il y a, dans cette volonté de représenter ce qui se fait habituellement lui-même support à la représentation, une démarche aussi intrigante que paradoxale. Le décor, tout comme le paysage, convoque avant tout une question de construction du regard. Un regard porté sur ce qui n’appelle de prime abord pas d’attention particulière, sur ce qui est en principe invisible, sur ce qui est considéré comme subalterne, comme accessoire. En outre, le décor se définirait par ce qui est réputé ne pas avoir de substance en soi, ce qui serait de l’ordre du simulacre, de la surface, quelque chose qui n’aurait pour fonction que de faire valoir autre chose. Pourtant, le décor joue un rôle essentiel dans ce que Bruce Bégout appelle une ambiance : « cette atmosphère affective aux contours mal définis » trahissant les limites d’une perception réduite à un dualisme objet-perçu / sujet-percevant, pour nous inviter à nous retrouver dans une relation à soi et au monde plus sensible et plus présente.
C’est peut-être ainsi que la proposition de Thilda Craquelin trouve toute sa justesse : déplacer le regard pour mettre le décor au centre et nous rappeler sa présence, son rôle, son importance. S’attarder un instant sur la trace laissée par le plâtrier-peintre au moment d’enduire l’assemblage générique de plaques de placoplâtre ; contempler quelque temps les motifs issus de la répétition d’un travail manuel ; être attentif·ve à la multiplication des mouvements, au travail de la matière qui forme et façonne les parements, les revêtements, les surfaces décoratives habillant les matériaux pauvres des architectures standardisées. Le geste du plaquiste pourrait-il être à l’origine d’une peinture qui s’ignore ? Un tracé de colle ou d’enduit à celle d’une forme graphique autonome ? Libre à chacun·e de mettre en relation ces formes qui, dissociées de leur contexte, s’autonomisent pour devenir les signes d’un lexique pictural et matériel que Thilda Craquelin s’attache à composer et enrichir.
Si la nouvelle vague nous a légué l’idée selon laquelle les procédés d’un film n’ont pas à se fondre dans le simulacre puisque ce sont bien la caméra, les lumières, les acteur·ice·s et le décor qui, en un sens, sont le film, alors la pratique picturale de Thilda Craquelin recèlerait peut-être une conscience analogue. Une conscience qui, en nous mettant en présence des invisibles qui peuplent nos environnements quotidiens et en nourrissent les ambiances, s’offrirait à nous telle une invitation à vivre une expérience contemplative, précisément à l’endroit du décor. » Alain Barthélémy